Introduction : La Carte de Votre Histoire Familiale
Bienvenue dans cette exploration fascinante de vos racines. Le génosociogramme, que nous allons apprendre à construire ensemble, est bien plus qu’un simple arbre généalogique. Considérez-le comme une véritable « carte de l’histoire familiale » qui se déploie sur trois à quatre générations. Son objectif principal n’est pas seulement de lister des noms et des dates, mais de mettre en lumière les récits cachés, les dynamiques secrètes et les événements marquants pour reconstituer la chaîne des causes et des effets qui a façonné votre famille.
Comme le souligne la psychothérapeute Élisabeth Horowitz : « Nombre de nos ascendants auraient voulu vivre une vie complètement différente de celle qu’ils ont vécue. L’arbre porte en mémoire des désirs insatisfaits, des désirs de réalisation personnelle qui sont restés secrets ».
Cette démarche est une enquête passionnante, une aventure dans laquelle vous devenez le « psydétective » de votre propre histoire. En déchiffrant cette carte, vous ne faites pas que regarder le passé ; vous vous engagez sur un chemin de libération. Le but est de mettre au jour les schémas inconscients pour vous libérer de leurs répercussions néfastes et, enfin, devenir pleinement vous-même.
Avant de plonger dans les archives familiales, préparons ensemble votre mallette d’enquêteur.
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1. La Préparation : Rassembler Vos Outils et Votre Esprit d’Enquête
Comme toute enquête sérieuse, la construction de votre génosociogramme commence par une bonne préparation. Il s’agit de rassembler le matériel nécessaire et d’adopter le bon état d’esprit pour cette exploration intérieure.
Voici les fournitures dont vous aurez besoin, selon la méthode que vous choisirez :
- Pour un arbre réalisé à la main :
- Du papier de très grand format (A2 minimum).
- Un crayon à mine grise et une gomme pour les ébauches.
- Un stylo noir à pointe fine pour la version finale.
- Des feutres de couleur pour différencier les liens et les événements.
- Une paire de ciseaux et de la colle pour ajouter des photos.
- Pour un travail à l’ordinateur :
- Un logiciel d’organigramme (comme Visio) ou d’illustration (comme Photoshop) est recommandé.
- Note : Les logiciels de généalogie traditionnels ne sont pas toujours adaptés pour ce travail transgénérationnel, car ils se concentrent davantage sur les données brutes que sur les liens affectifs et les événements psychologiques.
L’État d’Esprit de l’Enquêteur
La construction de votre arbre est un « travail de fourmi qui peut remuer des montagnes ». Elle demande de la patience, de la méthode et, surtout, une grande ouverture d’esprit, car la tâche mérite d’être entreprise car elle est susceptible de libérer la famille tout entière. Adoptez une posture d’écoute et de curiosité. Soyez attentif non seulement aux faits, mais aussi à ce qui émerge en vous durant le processus : un souvenir oublié, un lapsus en écrivant une date, un rêve marquant… L’inconscient familial peut se manifester de manière subtile et inattendue.
Vos outils sont prêts et votre esprit est aiguisé. Il est temps de passer à la phase la plus passionnante : la collecte des informations.
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2. L’Enquête : Quelles Informations Collecter et Où les Trouver ?
Cette étape consiste à rassembler les pièces du puzzle de votre histoire familiale. Il ne s’agit pas seulement de faits, mais aussi d’événements, de relations et de secrets qui ont façonné le destin de votre clan.
2.1. Les Données Essentielles de Votre Arbre
Voici les types d’informations à recueillir. Pour chacune, nous expliquons pourquoi elle est cruciale pour votre enquête.
- Les Données de Base :
- Quoi ? Noms, prénoms, dates et lieux de naissance, de mariage et de décès, ainsi que le rang dans la fratrie (aîné, cadet, etc.).
- Pourquoi ? C’est le squelette de votre arbre, la structure sur laquelle toutes les autres informations viendront se greffer.
- Les Événements Marquants :
- Quoi ? Déménagements, exils, migrations, faillites, maladies importantes, accidents, guerres, déportations.
- Pourquoi ? Ces événements agissent comme des cicatrices psychiques. Ils laissent des marques profondes qui peuvent influencer les peurs, les choix et les comportements des générations suivantes.
- Les Secrets, Non-dits et Personnes Exclues :
- Quoi ? Brouilles familiales, problèmes de succession, enfants adultérins, personnes bannies du clan (les « brebis galeuses »), mais aussi les enfants mort-nés, fausses couches et avortements.
- Pourquoi ? Ce qui est caché ou non-dit se transforme souvent en « fantômes ». Ces secrets, indicibles pour ceux qui les ont vécus, deviennent innommables puis impensables pour les générations suivantes, se manifestant alors par des angoisses ou des comportements inexplicables. L’absence d’un enfant, même non né, laisse une place vacante qui peut affecter la fratrie, notamment à travers le « syndrome de l’enfant de remplacement ».
- Les Liens et Personnalités :
- Quoi ? Les personnalités dominantes (« fortes femmes », tyrans domestiques), les liens affectifs forts (amour, haine), mais aussi les métiers, les talents artistiques ou les hobbies qui se répètent.
- Pourquoi ? Cela révèle les dynamiques de pouvoir, les loyautés invisibles et les transmissions de compétences (ou de fardeaux) au sein de la famille.
2.2. Où Mener l’Enquête ?
Pour trouver ces informations, plusieurs pistes s’offrent à vous :
- La « Mémoire Familiale » : Interrogez les membres de votre famille, en particulier les plus âgés (grands-parents, oncles, tantes). Agissez avec fermeté dans votre quête de vérité, mais toujours avec prudence et respect pour ne pas heurter les sensibilités.
- Les Archives Officielles :
- Les mairies pour les actes de naissance, de mariage et de décès.
- Les archives militaires pour les informations sur les guerres.
- Les études de notaire pour les contrats de mariage et les successions.
- Autres Pistes : Les listes électorales (publiques) ou les associations régionales peuvent parfois fournir des renseignements précieux.
Maintenant que nous avons rassemblé les récits et les faits, apprenons ensemble le langage visuel qui leur donnera vie et révélera leurs liens cachés.
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3. Le Blueprint : Apprendre le Langage de l’Arbre
Pour que votre arbre raconte une histoire et ne soit pas une simple liste, nous utilisons un langage de symboles conventionnels. Ce « blueprint » visuel permet de comprendre les relations et les événements d’un seul coup d’œil.
Voici une table des symboles les plus couramment utilisés.
Symbole | Signification | Note d’Utilisation |
☐ | Homme | Le symbole de base pour un individu masculin. |
◯ | Femme | Le symbole de base pour un individu féminin. |
MOI | Vous-même | Utilisez un symbole beaucoup plus grand. Particulièrement utile pour ceux qui se sentent déconnectés : il est grand temps d’occuper votre juste place ! |
— | Mariage / Union | Une ligne pleine et continue reliant deux personnes. |
// | Divorce / Séparation | Deux barres obliques qui coupent la ligne d’union. |
— zigzag — | Conflit / Haine | Une ligne de lien traversée par un zigzag pour marquer une relation difficile. |
ᐃ | Mort violente ou précoce | À placer à côté de la personne concernée pour signaler un traumatisme. |
🍷 | Alcoolisme | Un symbole à ajouter près de la personne pour indiquer une dépendance. |
👑 | Personnalité dominante | Indique une personne qui a exercé une forte influence (positive ou négative) sur le clan. |
☐ (avec un petit 🔴) | Enfant de remplacement | Un petit symbole rouge à l’intérieur de la case, indiquant que l’enfant est né pour remplacer un frère ou une sœur décédé(e), dont les parents n’ont pas pu faire le deuil. |
Votre arbre est un document vivant et personnel. Sentez-vous libre de créer vos propres symboles pour honorer les métiers (un marteau pour un artisan), les passions (un violon pour un musicien) ou les talents qui définissent votre lignée. C’est votre histoire; son langage vous appartient.
Vous maîtrisez maintenant le langage de votre histoire. Il est temps de prendre vos outils et de lui donner forme.
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4. La Construction : Bâtir Votre Génosociogramme Étape par Étape
C’est ici que votre enquête prend forme. Suivez ces étapes pour assembler méthodiquement les pièces de votre histoire familiale sur votre grande feuille de papier ou votre document numérique.
- Commencez par Vous-même. Placez votre case « MOI » (avec un symbole plus grand) au centre de votre feuille. Inscrivez-y votre nom, votre date de naissance et toute autre information clé. Vous êtes le point de départ de cette exploration.
- Développez l’Axe Vertical (Les Générations). Au-dessus de vous, ajoutez les cases de vos parents : votre père à gauche, votre mère à droite. Cette convention permet de séparer visuellement les lignées paternelle et maternelle, rendant les schémas de chaque côté plus faciles à repérer. Reliez-les à vous. Ensuite, ajoutez vos grands-parents au-dessus de leurs enfants respectifs, puis vos arrière-grands-parents, et ainsi de suite sur 3 à 4 générations.
- Développez l’Axe Horizontal (Les Fratries). Ajoutez maintenant vos frères et sœurs à vos côtés. Faites de même pour chaque génération : ajoutez les frères et sœurs de vos parents (vos oncles et tantes), de vos grands-parents, etc. N’oubliez pas d’indiquer le rang de chacun dans la fratrie.
- Animez Votre Arbre (Les Relations et Événements). C’est l’étape qui donne vie à votre carte.
- Reliez les couples avec les lignes d’union (—) ou de séparation (//).
- Utilisez la ligne de conflit (— zigzag —) pour marquer les relations difficiles.
- Ajoutez les symboles spécifiques à côté des personnes concernées : mort précoce (ᐃ), personnalité dominante (👑), alcoolisme (🍷), etc.
Un conseil important Une fois construit, votre arbre doit être regardé et analysé « non seulement avec l’esprit mais aussi avec le cœur ». Ce travail provoque une mise en mouvement intérieure. Prenez le temps de l’observer. Soyez attentif aux schémas qui se répètent, aux coïncidences de dates (syndromes d’anniversaire), mais aussi à vos propres réactions émotionnelles et physiques. Quelle branche de l’arbre vous semble lourde ? Le récit de quel ancêtre vous apporte un sentiment de soulagement ? Écoutez ce que votre corps et vos émotions vous disent pendant que vous dessinez ces liens.
Votre génosociogramme est maintenant un miroir vivant de votre héritage. Mais au-delà de la carte, quel est le sens du voyage ?
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Conclusion : Un Outil pour Vous Libérer et Honorer Vos Ancêtres
Construire son génosociogramme n’est pas un procès. Le but n’est pas de trouver des coupables ou de rejeter la faute sur les générations passées, mais de comprendre avec compassion les facteurs familiaux qui ont contribué à faire de vous la personne que vous êtes aujourd’hui. C’est une démarche de réconciliation avec votre histoire et avec ceux qui l’ont écrite avant vous.
En mettant en lumière les schémas inconscients, les secrets et les loyautés invisibles, vous vous donnez la possibilité de ne plus les subir. Ce processus est une véritable transmutation alchimique : il vous permet de changer le plomb du passé en or du présent. Vous pouvez choisir de garder les héritages positifs et de vous libérer des fardeaux qui ne vous appartiennent pas.
Réparer son arbre est un acte profondément altruiste. C’est un cadeau que vous vous faites à vous-même, mais aussi et surtout à votre descendance. Vous nettoyez le chemin pour ceux qui viendront après vous.
L’enjeu est de sortir enfin du chaos, de l’impensé, de l’indicible, du non-dit – et de la répétition –, et d’assumer son histoire familiale et son passé. — Anne Ancelin-Schützenberger